Il est généralement dit dans le mythe fondateur de la prison que l’enfermement carcéral a pour fonction d’amender et de réinsérer ceux qui le subissent. L’observation du phénomène de la
criminalité montre cependant que la récidive demeure un problème récurrent. Abordant la question de l’échec de la prison, Michel Foucault soutenait que la détention provoque la récidive ;
elle ne peut manquer de fabriquer des délinquants. Il ajoutait également que la prison favorise l’organisation d’un milieu de délinquant.
Qu’est-ce qui peut bien expliquer Cet échec ? L’on peut dire que la récidive est une réalité qui est insuffisamment prise en compte par la
chaîne pénale (Section I). La prison est également considérée aujourd’hui comme un cadre de
développement de ce fléau. (Section II).
Le traitement de la récidive n’a pas encore acquis ses lettres
de noblesse pour plusieurs raisons : d’abord elle est un concept délicat pouvant être confondu aux notions
voisines et qui suscite une justice sévère mais aveugle (A). Ensuite la poursuite par voie de flagrant délit ne permet pas de connaître le passé
pénal d’un individu (B). Il y a également l’épineux problème de l’exécution des décisions de justice (C).
La récidive est une notion difficile à cerner dans la mesure où
le risque de la confondre aux notions voisines que sont le concours réel d’infractions et la réitération est évident. Dans les trois hypothèses, il y a forcément une commission successive de
plusieurs infractions par un même un délinquant. Cependant là où la loi opère une distinction entre ces trois concepts, certaines personnes les qualifient indistinctement de récidive.
La récidive telle que définie par la loi est une situation dans laquelle après avoir fait l’objet d’une
condamnation pénale devenue définitive, appelé le premier terme de la récidive, le délinquant commet une nouvelle infraction, le second terme, qui va aggraver la première peine prévue.
Le concours réel d’infractions intervient lorsque plusieurs infractions sont commises par un même délinquant
sans qu’aucun jugement de condamnation définitif ne soit intervenu. Il peut s’agir d’infractions poursuivies au même moment et ayant fait l’objet d’un jugement unique. Il peut également s’agir
d’infractions ayant fait l’objet de plusieurs poursuites et jugements.
La réitération concerne la situation dans laquelle une personne déjà définitivement condamnée commet une
nouvelle infraction dans des conditions qui ne correspondent pas à celles de la récidive légale. Ainsi, les similitudes entre ces trois notions empêchent non seulement de mieux cerner la
récidive mais aussi de donner un état chiffré précis du taux de sa prévalence.
Il y a lieu de préciser que lorsque les conditions de la récidive
légale sont réunies, automatiquement le double du maximum de la sanction prévue est appliqué au délinquant mis en cause. A ce stade, le juge
répressif apparaît simplement comme un distributeur automatique de sanctions. Certes le récidiviste est durement réprimé mais ce dernier perd de vue l’intérêt de la victime qui ne souhaite qu’une juste indemnisation et non forcément une sévère répression de son bourreau.
La poursuite par voie de flagrant délit est un mode de saisine du tribunal correctionnel initié par le parquet.
Elle a lieu lorsqu’à la suite d’une enquête de police ou de gendarmerie révélant la commission d’une infraction, celui qui parait en être l’auteur est conduit devant le procureur de la
république. Lorsque les faits déplorés sont avérés, celui-ci procède immédiatement à son inculpation en lui notifiant les faits mis à sa charge, la qualification légale retenue, les textes
applicables. Il le renseigne sur sa situation pénale et la date de l’audience à laquelle il devra comparaître.
Cette voie de saisine qui se caractérise par la célérité quant au
traitement du dossier ne permet pas au ministère public chargé de soutenir l’accusation de procéder à une vérification du passé pénal de la personne poursuivie, que celui-ci soit né dans son
ressort ou ailleurs. Le casier judiciaire est pratiquement inaccessible dans la mesure où non seulement il peut être sollicité de n’importe quelle juridiction du pays mais aussi, parce qu’il
n’est pas centralisé obtenu rapidement. Par ailleurs, il faut aussi relever que les parquets ne relèvent pas systématiquement la récidive comme circonstance aggravante lorsqu'ils saisissent le
tribunal.
Jean Luc Warsmann, à ce sujet, a soutenu que l’incapacité
de la justice à « être renseigné en temps réel sur l’existence des condamnations qu’elle a elle-même prononcées (…) a des conséquences graves sur la décision que le tribunal sera amené à rendre. Dans l’ignorance d’une ou plusieurs condamnations, non encore parvenues au casier judiciaire, le tribunal n’est pas non
plus informé de l’éventuelle récidive commise par le prévenu. Il ne sait pas, en outre, au cas où il prononce une peine d’emprisonnement ferme si celle-ci révoque des sursis qui ont été
précédemment prononcés »
Jacques céline estime également que ce ralentissement dans la transmission du casier judiciaire peut être mise à la charge des techniques
elles-mêmes qui demeurent archaïques et hostiles aux nouvelles technologies de l’information et de la communication.
La récidive est ainsi est favorisée par une justice qui ignore la personnalité et n’individualise pas la sanction: à justice aveugle, récidive certaine est-on tenté de relever.
L’exécution des décisions de condamnation pénale constitue
aujourd’hui un atout majeur pour la permanence de la récidive. De nombreuses difficultés existent. D’abord le code de procédure pénale camerounais est outrancièrement protecteur du délinquant,
même au niveau de l’exécution de la décision rendue à son encontre. Par exemple lorsque le tribunal prononce une peine privative de liberté, il décerne un mandat d’incarcération ou un mandat
d’arrêt contre le condamné. Toutefois, si ce dernier manifeste l’intention de relever appel du jugement et si la peine n’excède pas un an, le
tribunal peut, à la demande du condamné, le laisser en liberté jusqu’à l’expiration des délais d’appel.
Cette pratique a pour effet de banaliser la fonction intimidante et dissuasive de la peine. Or l’exécution de
la première sanction est un élément essentiel dont les vertus pédagogiques et préventives ne peuvent être ignorées. Plus il y a retard entre le prononcé et l’exécution de la condamnation, moins
la peine est comprise. Pourtant, il faut exécuter les sanctions pénales sans délai, ni faiblesse et donner du sens à la politique de sécurité de l’Etat.
Ensuite, tous les acteurs intervenant dans le processus de l’exécution des décisions rendues par les juges ne
jouent pas pleinement leur rôle. Les parquets contrôlent rarement l’effectivité de l’exécution des mandats d’arrêt transmis aux unités de police ou de gendarmerie et encore moins la présence
physique des délinquants incarcérés dans les prisons. Les officiers de police judiciaire sont peu enclins à exécuter les mandats de justice motifs pris de ce qu’ils manquent de personnel et de
moyens de locomotion. Le personnel de l’administration pénitentiaire a pris la fâcheuse habitude de se familiariser et de s’attacher aux détenus, toute chose de nature à conforter ces derniers
dans leur volonté de transgression permanente des règles sociales. Les évasions sont également facilitées par leur sous équipement en armement performant et en matériel roulant. C’est pourquoi,
entre autres raisons, la prison est considérée comme une machine à récidive.
La prison est un
lieu qui favorise la récidive et ce pour de multiples raisons : Les délinquants vivent dans des conditions d’incarcération peu propices à leur
amélioration (I), sont aux prises avec des facteurs qui stimulent leur volonté de transgression des règles sociales (II).
La prison se caractérise généralement par des conditions matérielles (A) ou humaines (B) très souvent
dégradantes, humiliantes et aux antipodes des Droits Fondamentaux de l'Homme. Elle reflète généralement le niveau de développement des sociétés dans lesquelles elle est érigée. Ce sont les deux
aspects qui font d’elle un cadre de développement de la récidive.
En dehors de la
surpopulation carcérale permanente, les détenus sont très souvent confrontés aux autres occupants permanents des cellules : les rats et les cafards. Les sanitaires et les douches sont
communs, mal ou pas du tout entretenus et ne laissent que peu de place à l'intimité. Vivre en cellule c'est aussi être très souvent contraint de subir les aléas du thermomètre extérieur, ne pas
choisir sa compagnie. La nourriture est non seulement de piètre qualité, mais aussi insuffisante. La vie en cellule est pesante et dans les établissements les plus anciens ou vétustes, elle est
humainement dégradante. La pesanteur de la détention vient souvent des gens avec qui elle est partagée, mais l'inhumanité de l'incarcération revient, pour sa part, à l'insalubrité des
conditions de détention dégradantes.
Le régime de l’emprisonnement commun qui caractérise généralement
nos prisons, parce que présentant l’avantage d’être moins coûteux, a ses inconvénients. Du point de vue moral, il corrompt plus qu’il amende. La promiscuité qu’il comporte ne contribue guère au
relèvement de l’individu. Elle l’expose à subir les mauvaises influences et, au lieu de l’améliorer, elle risque de le pervertir moralement et physiquement. Les communications entre les détenus
qui vivent en commun sont considérables. De véritables associations de malfaiteurs peuvent ainsi se constituer à l’intérieur de la prison, en vue de préparer des crimes qu’ils commettront
ensemble après leur libération.
Lors d’un entretien avec un détenu multirécidiviste à la prison
centrale de Garoua quant à sa détention, il a fait les déclarations suivantes :
« La prison, agresse permanemment l'esprit et le
corps. Elle se caractérise par de fortes odeurs, des bruits insondables, des voix fortes, des cris. Lorsqu’on y pénètre, on est envahi par une sensation oppressante de dureté qui se dégage des
êtres et des choses. Une angoisse vous saisit à tel point qu'elle vous paralyse dans un mal-être permanent dont il est difficile de se débarrasser. La prison a ses règles, ses traditions, sa
culture propre. C'est un milieu ayant ses règles, ses rites qui d’ailleurs sont aux antipodes de ce que l'on peut connaître à l'extérieur. Ici, la
règle qui prédomine sur tout le reste est la loi du plus fort, du plus malin, du plus vicieux .Elle rassemble tout ce que l’humanité a de mauvais »
Ces propos son suffisamment édifiantes pour ce qui est des causes de la récidive en milieu
carcéral. Une chose est sure, les personnes vivant dans des conditions difficiles en
prison ont cette propension à récidiver dès que l’occasion leur est offerte car les conditions dans lesquelles elles vivent les prédisposent à la
récidive.
Les détenus sont généralement soumis à l’enfermement commun. Ce qui permet à ceux d’entre eux qui sont endurcis
dans le crime d’influencer négativement ceux qui sont encore à leurs premiers pas (A). L’on note également que l’évaluation de leur dangerosité est insuffisante (B) et leur sortie de prison
n’est pas du tout préparée (C). Ce qui favorise la propagation de la récidive.
Les détenus endurcis exercent sur les jeunes délinquants une
influence manifestement déterminante qui se traduit par un renforcement de leurs comportements antisociaux On y retrouve les meurtriers ou violeurs
en série, les têtes pensantes de réseaux criminels. En effet, le contact entre deux criminels exacerbe la criminalité, soit en la flattant par le
récit de leurs exploits, soit en échafaudant de nouveaux desseins criminels pour le temps qui suit leur libération. Le criminel étant souvent un homme seul à sa sortie, les seuls réseaux
de réinsertion lui sont fournis par les connaissances de la prison. Ces réseaux sont généralement mis à sa disposition par des détenus professionnels du crime de haute facture qui se sont
illustrés par une criminalité organisée, réfléchie et bien structurée. Cette criminalité étant fondée le plus souvent sur des réseaux, la stimulation de ces réseaux par la promiscuité carcérale
aura une incidence négative sur le potentiel avenir du jeune délinquant.
Par ailleurs, il y a un phénomène qui semble aujourd’hui prospérer. L'incarcération redevient un rite de
passage obligatoire dans les bandes organisées et les classes sociales non scolarisées et analphabètes. « Tu es un homme maintenant ! » s’adressent-elles à l’un des leurs lorsque
celui-ci se retrouve en prison. Toutes ces considérations amènent le délinquant débutant à s’engager résolument dans la voie de la récidive.
L'évaluation de la
personnalité des détenus quant à leur dangerosité pour eux-mêmes (risque suicidaire), pour les gardiens surveillants et leurs codétenus (risque d'agression) ou pour l'administration
pénitentiaire (risque d'évasion ou de trafics divers) est embryonnaire ou inexistante. Le risque de récidive est par conséquent inconnu. La pratique en vigueur, bien que nécessaire, n'en
demeure pas moins partielle et dépourvue de tout caractère prospectif sur la dangerosité du détenu qui est généralement définie comme un phénomène psychosocial caractérisé par les indices révélateurs de la grande probabilité pour un individu de commettre une infraction contre les personnes ou les biens. Alors que
récidive et comportement dangereux sont liés, aucun instrument spécifique tendant à leur évaluation n’est prévu.
Parce qu'elle est privative de liberté, la prison a également pour effet d'anémier la capacité du détenu à se
prendre en charge. Préparer la sortie, c'est avant tout, réapprendre les gestes de l'autonomie et donc lutter contre la récidive. Comme l'a signalé
Jean-Luc Warsmann dans son rapport précité, « la sortie de prison, quelle que soit la durée de la
peine purgée, est un moment difficile à vivre. La personne libérée sans préparation ni accompagnement risque de se retrouver à nouveau dans un environnement familial ou social néfaste, voire
criminogène, ou bien au contraire dans un isolement total, alors qu'elle aurait besoin de soutien pour se réadapter à la vie libre. Tout ceci peut l'amener à la récidive ».
L’on constate généralement que la sortie de prison des délinquants ayant purgé leur peine n’est pas
toujours suivie.
A l’issue de l’étude de l’emprisonnement comme principal mode de traitement de la
récidive, une insatisfaction subsiste dans notre esprit. L’on se demande s’il constitue la meilleure façon de faire face à la récidive qui pratiquement met à nue les failles des politiques
criminelles mises en place par les Etats. L’on est même tenté de convenir avec Serges Portelli que c’est une politique irresponsable et dangereuse
que de laisser croire aux citoyens que la criminalité pourrait se dissoudre dans plus de prisons . Par ailleurs, le recours-réflexe à l’incarcération pour juguler les désordres urbains est
un remède qui, dans bien des cas, ne fait qu’aggraver le mal qu’il est censé guérir. Institution basée sur la force et opérante, la prison est un creuset de violences et d’humiliations
quotidiennes, un vecteur de désaffiliation familiale, de méfiance civique et d’aliénation individuelle.
Et, pour beaucoup de détenus marginalement impliqués dans des activités illicites,
c’est une école de formation, voire de « professionnalisation », aux carrières criminelles. Pour d’autres, et ce n’est guère mieux, l’enfermement est un gouffre sans fond, un enfer
hallucinatoire qui prolonge la logique de destruction sociale qu’ils ont connue à l’extérieur en la redoublant d’un broyage personnel. L’histoire pénale montre, en outre, qu’à aucun moment et
dans aucune société la prison n’a su accomplir la mission de redressement et de réintégration sociale qui est censée être la sienne dans une optique de réduction de la récidive.
En plus, le récidiviste n’est pas un
monstre et il ne sert à rien de le diaboliser. Il faut plutôt faire appel aux autres formes de traitement également efficaces et nécessaires à sa réinsertion.